J'aimerais
tout d'abord vous remercier toutes et tous de m'avoir invité,
mais surtout, merci aux élèves et aux écoles
participantes.
J'ai toujours pensé que chacun de nous
a plus de choses à apprendre qu'à enseigner. Certes,
on m'a demandé de vous faire part de mes vues sur le bilinguisme
en tant que président de la Commission nationale d'élaboration
des politiques du Parti libéral du Canada. Mais je suis surtout
curieux d'entendre ce que vous avez à dire, vous qui apprenez
aujourd'hui le français.
En
fait, elle n'est pas si loin l'époque où j'étais
moi-même assis à votre place, pour prendre une image.
Je suis né et grandi à Toronto, dans une famille anglophone,
et j'ai fait ma scolarité dans l'une des premières
classes d'immersion française de la ville, le primaire à
l'école publique Howard et le secondaire à l'Institut
collégial Humberside.
Au commencement, c'était commun de se
méfier de l'immersion française. Pour de nombreux
Torontois, il s'agissait au mieux d'une mode éphémère,
au pire d'une expérience pédagogique mal avisée
et motivée par des impératifs d'ordre politique, où
les jeunes enfants, comme moi, servaient de cobayes.
En fait, les parents étaient tellement
réticents à exposer leurs enfants aux soi-disant risques
de l'immersion, que le programme fut presque annulé avant
même d'avoir vu le jour. Le conseil scolaire avait prévenu
l'école Howard qu'à moins de trouver 30 élèves
dont les parents seraient assez braves (ou fous) pour les y inscrire,
le programme ne recevrait aucun financement.
Pendant plusieurs semaines, l'école a
imploré les parents d'élèves, a battu le pavé,
et a même fait de la publicité à la radio. Malgré
tout cela, elle n'a réussi à recruter que 25 enfants
pour la première classe d'immersion. Heureusement, le conseil
a été plus flexible qu'il ne l'avait laissé
entendre.
À
mon avis, cette conférence, les élèves inscrits
dans les programmes d'immersion rien que dans cette pièce
vous êtes bien plus de 30 et tous les élèves
qui sont sur des listes d'attente partout au pays, c'est un bel
hommage au courage et à l'intuition des pédagogues
de l'époque.
Étant l'un des cobayes qui a survécu
à l'expérience, je voulais vous parler brièvement
des avantages sur le plan personnel qu'il y a à recevoir
une instruction en français, ce dont je me suis rendu compte
en travaillant dans le domaine politique, et vous dire pourquoi
le français est important pour chacun d'entre nous. Mais
je voulais aussi vous faire part de ce que j'appellerais les responsabilités
citoyennes associées au bilinguisme, et vous dire pourquoi
je crois que votre éducation et votre présence ici
aujourd'hui sont essentielles pour notre projet national.
Tout d'abord, j'occupe le poste de président
de la Commission nationale d'élaboration des politiques à
titre bénévole. J'ai été élu
par des délégués des quatre coins du pays au
Congrès national du Parti libéral du Canada, et j'ai
pour mission surtout de favoriser et d'encadrer la participation
des citoyens à la définition des politiques publiques.
Mon objectif à court terme est de veiller
à ce que les actions du gouvernement national correspondent
aux souhaits des citoyens. À long terme, mon objectif est
de faire entrer dans les mentalités la participation citoyenne,
au sein du Parti libéral et à l'extérieur.
Je suis absolument convaincu que la force de notre démocratie,
et même la légitimité de l'État, repose
sur la possibilité pour les gouvernés de dessiner
les contours des orientations du gouvernement.
Je
peux vous dire avec certitude qu'à ce moment charnière
de notre histoire, il est tout à fait inconcevable que quelqu'un
puisse jouer ce rôle, ou être appelé à
le faire, s'il ne veut parler les deux langues officielles.
Le Canada est un pays bilingue, et servir notre
pays, c'est le servir dans les deux langues.
Cela est vrai pour celles et ceux qui souhaitent
jouer un rôle d'impulsion dans des institutions publiques
dans la fonction publique, les ONG ou en politique mais
aussi dans le secteur privé. La taille de l'État,
en pourcentage du PIB, n'a jamais été aussi petite
depuis 1949, et ainsi les citoyens s'attendent de plus en plus que
les entreprises deviennent &laqno; citoyennes responsables »,
qu'elles s'occupent de leurs responsabilités sociales.
Donc, pour réussir dans les affaires
publiques et privées, il faut non seulement pouvoir servir
les clients dans leur langue, mais aussi servir l'intérêt
supérieur de la collectivité dans les langues de la
collectivité.
Cependant, nous connaissons tous, très
certainement, des hommes et femmes politiques unilingues. Mais de
nos jours, ils sont l'exception, non la règle. Qui plus est,
les critères selon lesquels vous serez jugés, vous
qui êtes aux études aujourd'hui, sont très différents
des critères qui visent les gouvernants à l'heure
actuelle.
Lentement
mais inexorablement, les dirigeants politiques passent le flambeau
à une nouvelle génération de Canadiens : une
génération qui va vivre la majeure partie de sa vie
au XXIe siècle, non au XXe siècle; une génération
pour qui le Canada a toujours été un pays bilingue;
pour qui la Révolution tranquille n'est pas gravée
dans les mémoires mais dans les livres d'histoire.
Pour nous, il n'y a pas d'excuses, et l'opinion
publique ne fera pas preuve de tolérance envers celles et
ceux qui souhaitent servir leur pays mais qui ne peuvent pas communiquer
avec tous leurs concitoyens.
Il a été donné à
chacun d'entre nous de pouvoir parler deux langues. C'est un atout
précieux, mais nous devons aussi assumer des responsabilités.
Nous devons d'abord comprendre pourquoi le Canada est bilingue et
pourquoi le bilinguisme pour nous est moins un privilège
qu'un devoir.
La réponse facile, voire toute simple,
qui expliquerait pourquoi le Parti libéral a mis en uvre
la politique du bilinguisme officiel, c'est qu'on voulait répondre
aux nationalistes du Québec, et persuader la minorité
d'expression française en Amérique du Nord qu'il était
plus avantageux de rester au sein du Canada que de s'en séparer.
Il
y a certainement du vrai là-dedans. La crise qui a impulsé
le bilinguisme au sein du Parti libéral, sous la direction
à la fois de Trudeau et de Pearson, c'est l'agitation culturelle
au Québec et la montée du séparatisme.
Mais les séparatistes n'ont jamais réclamé
un Canada bilingue : ils veulent un Québec unilingue.
Peu leur chaut qu'un citoyen à Calgary
puisse commander un timbre en français. Ce qui leur tient
à cur, en revanche, c'est qu'un commerçant à
Montréal ne puisse pas afficher en anglais.
Le pouvoir du bilinguisme, de cimenter notre
pays, ne s'agit pas de mollifier les séparatistes, mais de
servir les intérêts à la fois des anglophones
et des francophones.
En tant qu'anglophone, j'ai davantage le sentiment
d'être Canadien, j'ai un plus grand sens de la solidarité
nationale et de ma spécificité sur la scène
internationale parce que je sais que je pourrais, si je le voulais,
tout comme n'importe quel autre citoyen, commander ce timbre en
français.
Une
communauté francophone dynamique et forte, aux quatre coins
du pays, fait autant partie de mon identité culturelle canadienne,
de mes droits inaliénables, que de ceux des Canadiens de
langue française.
Ce ne sont pas les aléas de l'histoire
ou les données de la géographie qui ont façonné
le Canada. L'homme et la nature n'ont jamais autant conspiré
que contre notre pays. Nous existons parce que l'union fait notre
force, non pas en dépit de nos différences, mais en
raison de nos différences.
Comme membres de la première génération
qui a atteint sa majorité dans un contexte bilingue, je crois
que nous devons tous nous rappeler, qu'à terme, le plus grand
privilège, le plus grand atout, et la plus grande responsabilité
qui nous ait été donnés, à chacun d'entre
nous, ce n'est pas simplement d'avoir la possibilité de profiter
sur le plan personnel de notre bilinguisme, mais d'avoir la chance
de pouvoir nous montrer dignes du génie de notre pays.
Je vous remercie de votre attention.
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